J'ai beaucoup dessiné à une époque,
comme un sauvage, sans prendre de cours, sans en avoir jamais pris, sans
me préoccuper du support, des résultats, pour amasser, me
construire, découvrir. C'était entre 17 et 25, avec un fléchissement
cependant au fur et à mesure que mon temps était de plus
en plus pris par d'autres occupations. En particulier, au fur et à
mesure que j'écrivais de plus en plus (des lettres, correspondances).
Aujourd'hui je dessine toujours, j'écris toujours, mais ces deux
activités toujours cheres à mes yeux et importantes, n'ont
plus la même régularité et pregnance. Je fais d'autres
choses encore, et une fille ca occupe beaucoup. Le mouvement qui m'a
entraine
du dessin à l'écriture se poursuit toujours plus vers les
autres. Aujourd'hui, quand j'ai à choisir entre le dessin et me
tourner vers autrui, je fais passer le dessin en second. Avant la
question
ne se posait pas. Le dessin, l'art, les activités artistiques restent
importantes à mes yeux, nobles, et peuvent constituer un but en
soi, et chez autrui, une raison de vivre, un moyen de vivre, pour moi,
il, ils, elles sont devenus inessentiels, superflues, dans un sens
relativement
positif. Je ne me battrais pas pour ils, elles, et je verrais avec un
certains
detachement que l'on les place au coeur, au centre de la vie, de ma vie.
Je peux vivre à coté. Je crois que je voudrais pouvoir m'en
détacher, au besoin. Même si aujourd'hui je continnue à
garder un gout pour cela, et que j'ai toujours, feutres, crayons,
gouaches,
etc... à portée de la main. Je ne veux pas que l'on croie
que c'est l'essentiel dans ma vie, car l'essentiel est au dela, dans la
philo, par exemple, ou dans la construction de relation humaines, toutes
choses auxquelles je tiens plus, pour lesquelles je pourrais me battre.
A l'époque, je crois que c'est comme si
j'etais
sortis des musées, des livres d'art, avec l'envie de savoir, de
decouvrir. L'école ne m'avait rien appris ou presque, je ne savais
toujours pas représenter quelque chose que j'avais en face de moi,
representer de maniere ressemblante. Je n'avais aucune mémoire visuelle,
aucun moyen de me rappeller d'une image entr'appercue, de la reproduire.
Je ne savais pas exprimer quoi que ce soit par la couleur, le trait, les
volumes, j'étais à un degré zéro de l'art,
comme un ignard ou presque. Seulement
j'avais vu dns les livres, au musée, qu'il etait possible de faire
des choses, que d'autres avaient construit de leur main, de leur tete,
des images significatives. Je croyais en la possibilité d'un miracle,
je ne croyais pas en la technique. J'ai ferme le livre de l'art, comme
pour preserver ma virginité, (illusion qui aujourd'ui me fait sourire,
je crois que je revendique au contraire ma culture, merci a mes parents,
a mon entourage qui a permis que celle-ci se contruise) et j'ai tourne
le dos à toutes les écoles (ce que je ne regrette pas, position
que je conserve encore aujourd'hui). J'avais peut-etre lu que R. Dufy
s'etait
improvisé peintre à la suite d'un sejour prolongé
en clinique, je ne savais peut-etre pas que Picasso était fils d'un
professeur de dessin, ..., je n'ai pas attendu d'etre malade, j'ai
choisi
de faire le malade de moi-meme. J'ai recherche mes vieilles gouaches,
mes
vieux feutres, mes vieux crayons de dessins, quelques marqueurs (ceux
que
m'avaient laissés ces cours de dessins à l'école ou
je ne comprenais rien, ou je ne brillais pas, et ne savais pas pourquoi
ou comment, ou les cours d'art plastique me semblaient une matière
ratée, surtout en comparaison avec ce que je voyais dans les musées,
les livres), quelques pastels, ou crayons plastiques, etc... tout me
semblait
bon pour couvrir le blanc de n'importe quelle feuille, de n'importe
quelle
taille. Les marqueurs avaient cet avantage de fournir une couleur
eclatante,
(malheureusement un peu trop franche), mais je